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En faisant le ménage de mon disque dur récemment, j'ai retrouvé cet essai de vulgarisation que j'avais rédigé dans le cadre d'un contrat de consultation, il y a de cela quelques années. A part quelques chiffres à revoir, je le trouve encore bien d'actualité trois ans après. Comme cela fait un bon moment que je n'ai pas entretenu ce blog, je publie ici l'intégralité du texte... juste avec quelques erreurs de langue en moins (embarrassant - et il doit certainement rester quelques fautes qui ont échappé à mon attention).
Tant qu'à faire du recyclage, j'accompagne le texte d'une petite illustration sur le 'data mining', qui n'a jamais trouvé de texte pour l'accompagner ici. Je devrais prendre comme résolution de nouvel an de nourrir ce blog plus régulièrement.
Meilleurs voeux pour 2012!
en
I have been fairly busy with real life lately so it has been a while since I haven't posted anything on this blog. By chance, I came upon this essay that I have written a few years back but that does not seem that out-dated, which is surprising, considering the pace at which technologies evolve. Unfortunately, the text is in French. Perhaps one day, I will find some time to sit down and translate it (ha!). However, I have also found an illustration that I made some time ago about data mining, but for which I haven't had the time to blog about. Sorry for the recycled material! Maybe I should make it a New Year's resolution to maintain this blog more often.
Best wishes for 2012!
Les biotechnologies sont essentielles au développement de l'agriculture de demain. Les avancées techniques dans ce domaine passeront par une progression concertée avec les technologies issues de plusieurs disciplines, au delà de la biologie et du génie génétique.
L'agriculture occupe une place de taille dans l'histoire de l'humanité. Son apparition aurait favorisé la sédentarisation des premiers peuples chasseurs-cueilleurs, facilitant ainsi le développement de l'écriture, des sociétés et des civilisations. Avec les premières techniques agricoles (irrigation, domestication), nous avons commencé à organiser notre environnement autour de nos besoins. En établissant des communautés en villages et en villes, nous avons modifié les paysages et les écosystèmes. En choisissant certains traits désirables dans les semences et les élevages, nous avons sélectionné les gènes à la source de certains caractères, par exemple, en préférant les épis qui donnent plus de graines ou du bétail qui produit plus de lait. Ainsi, nous avons commencé à modifier les génomes, c'est-à-dire l'assemblage des gènes, des organismes que nous cultivions ou élevions.
Pendant plus de 10 000 ans, par un long processus répétitif de croisements et de sélection, aux aléas d'essais et de tâtonnements, nous avons ainsi modelé l'évolution des espèces domestiquées. Au cours des derniers siècles, les avancées dans nos connaissances ont grandement contribué à accélérer ce processus. À présent, nous maîtrisons un peu mieux les règles de la transmission des gènes et nous avons développé une panoplie de technologies basées sur la biologie: les biotechnologies (l'utilisation du vivant, ou de ses parties, au service du vivant). Grâce à la génétique et aux biotechnologies, nous possédons désormais des méthodes quasi-chirurgicales pour localiser, suivre et sélectionner les gènes qui confèrent des traits d'intérêt agronomique.
Biotechnologie et convergence des technologies
Outre l'agriculture, les biotechnologies sont aujourd'hui mises à profit dans bien d'autres domaines. Notamment dans ceux de la médecine et de la santé, pour dépister, prévenir et soigner des maladies. D'autres champs d'application, comme en justice, en anthropologie ou en archéologie, bénéficient désormais des techniques d'analyses de l'ADN, molécule qui renferme l'information génétique, pour l'identification et la filiation des individus.
Inversement, il est important de noter que le progrès dans les biotechnologies, s'est fait conjointement avec l'enrichissement de notre savoir dans d'autres disciplines, tels que la chimie, la physique ou l'informatique. Pour cette raison, le développement continu du génie génétique ne pourrait se faire sans le fruit des recherches provenant des autres secteurs scientifiques.
Cette convergence des technologies devient plus tangible à mesure que nos connaissances évoluent. Alors que la physique, la médecine et les mathématiques constituaient des disciplines d'études relativement distinctes à la fin du dernier millénaire, de nouveaux champs de recherche qui combinent les trois, ont récemment vu le jour. C'est le cas des nanotechnologies, qui exploitent des procédés à l'échelle moléculaire ou atomique pour synthétiser de nouveaux matériaux destinés, par exemple, à des fins biomédicales.
Mais pour revenir à l'agriculture et aux biotechnologies, l'exemple de la technique du séquençage d'ADN illustre bien cette convergence des technologies. Le séquençage permet de déterminer la succession des bases qui constituent une molécule d'ADN. Essentiellement, elle permet de décoder les gènes, qui peuvent ensuite être étudiés et être l'objet d'expérimentations afin de déterminer leur fonction dans l'organisme.
Conçue en 1975 par
Frederick Sanger, lauréat du prix Nobel de chimie, le principe du séquençage d'ADN a subi plusieurs transformations et améliorations depuis. Le dernier né de ces procédés, le pyroséquençage, incorpore des réactions biochimiques en chaîne, s'effectue sur de nouveaux matériaux de support, exploite la robotisation et utilise des instruments lasers pour la lecture des séquences. Des solutions informatiques sont ensuite apportées pour le traitement et le stockage des données. Alors que la technique initiale nécessitait des années pour décoder l'ADN d'un virus, de nos jours, des séquences environ 20 000 fois plus longue ne requièrent plus que quelques heures, et ce à des coûts nettement moindres. Le procédé du pyroséquençage permet donc une production à très grande échelle (génomique), mais il tient des avancées dans les recherches de plusieurs champs d'études, incluant la biochimie, l'ingénierie, la physique optique et l'informatique.
Enjeux futurs
Étant donné les exigences interdisciplinaires, l'entretien d'une bonne culture scientifique est essentiel pour le développement des technologies futures. La recherche fondamentale est donc primordiale et transcende les disciplines.
Néanmoins une technologie n'est qu'un outil, et le résultat de son application reste sujet à interprétation. Les abus ou les conséquences imprévues de certaines avancées techniques peuvent être source de problèmes plus tard: un antibiotique peut sélectionner des souches résistantes; le moteur à combustion interne nous permet de voyager rapidement sur de grandes distances mais génère des gaz à effets de serre. L'agriculture aussi nous a apporté son lot de déconvenues sous la forme de déforestation, de parasites liés aux espèces domestiquées ou d'appauvrissement de la biodiversité. Ironiquement, par rapport à un mode de vie de chasseur-cueilleur, la supériorité de rendement que procure une vie pastorale a sans doute contribué à l'explosion démographique de notre espèce et, en conséquence, il nous faudra bientôt subvenir aux besoins caloriques de 7 milliards d'humains sur la planète.
Des crises alimentaires et écologiques récentes ont été liées à des mises-en-pratique excessives de certaines découvertes et ont poussé l'opinion publique vers une réticence généralisée, voire une crainte, des nouvelles technologies (l'énergie nucléaire, les OGM). Dans l'agro-alimentaire, sont apparus des contre-mouvements tels que les filières 'Bio' et produits dits 'organiques'. Mais ces solutions alternatives ne sont pas incompatibles avec les avancées biotechnologiques. Elles pourraient tirer profit d'une meilleure compréhension de la fonction des gènes, par exemple, pour sélectionner des variétés plus résistantes aux pathogènes ou des plantes moins gourmandes en eau. Dans le cadre où les agricultures conventionnelles et alternatives visent toutes les deux à être pérennes, une meilleure connaissance fondamentale des sciences biologiques (génétique, biochimie, écologie, évolution) ne peut qu'être porteur d'idées pour envisager des solutions et les développer en complémentarité.
L'application des technologies peut donc soulever des problèmes, mais une meilleure compréhension des mécanismes qui sont en jeu nous donnerait une meilleure analyse de la situation, dans le but d'apporter des correctifs et d'appréhender les dysfonctionnements. D'où la nécessité d'accumuler, mais aussi de critiquer de manière constructive, nos connaissances sur le monde qui nous entoure afin de mesurer pleinement les conséquences de nos actions, pour mieux gérer nos technologies et pour intervenir en cas de crise.
Horizon 2025
Face à ces enjeux, et dans un contexte de convergence des connaissances, il est essentiel de continuer de développer la culture scientifique, en investissant dans la recherche fondamentale, toutes disciplines confondues. Cette culture scientifique ne pourra ainsi avoir qu'un impact positif sur les biotechnologies et sur l'agriculture. Les connaissances et le savoir-faire ainsi acquis se traduiront par une meilleure gestion des méthodes agronomiques favorisant le respect de l'environnement et contribueront à assurer de manière durable l'indépendance et la sécurité alimentaire en Europe.
Exemple: Les possibilités du séquençage génomique
Afin d'imaginer les apports d'une culture scientifique riche sur la biotechnologie et l'agriculture, reprenons le cas des techniques de séquençage. Depuis quelques années déjà, une séquence de référence à été produite pour plusieurs organismes modèles (
e.g. la souris, la drosophile, l'arabette). Cependant, les progrès fulgurants du séquençage ADN commencent tout juste à être appliqués aux espèces d'intérêt agronomique. Les plantes, notamment, possèdent souvent des génomes de très grande taille et très complexes. Malgré cela les progrès qui seront réalisés à tous les niveaux de la technique contribueront à améliorer les rendements, tout en diminuant les coûts. D'ici quelques années, le séquençage des génomes larges et complexes ne seront plus un obstacle. Restera la lourde tâche de décrypter le rôle des différentes parties du génome, de déterminer la fonction de chacun des gènes et leurs réseaux d'interactions (networks), dans le temps et dans l'espace.
À la base, le but ultime de l'application des biotechnologies et du séquençage reste la définition de la fonction réelle des gènes. L'identification et la caractérisation des gènes qui nous paraissent avantageux permettront leur utilisation en génie génétique. Sans compter les applications en vue de l'amélioration des espèces d'importance agronomique, les progrès biotechnologiques pourraient contribuer à produire de nouvelles générations de biocarburants, donner naissance à de nouveaux bio-matériaux ou contribuer à régénérer l'environnement.
En plus de leur utilisation dans le décodage des gènes, il est envisageable que les applications de la technique de séquençage aillent en se diversifiant. Au lieu de simplement obtenir une séquence de référence pour le génome d'une espèce donnée, il sera possible de séquencer tous les individus. Les avantages seront certains et multiples.
À ce point, beaucoup de gènes à l'origine de caractères tels que la qualité du fruit ou de la viande, la résistance à certains pathogènes, une tolérance accrue à des conditions de stress restent à être découverts. Pour suivre la transmission de ces caractères désirables, et éventuellement pour les identifier, les méthodes actuelles consistent à associer plusieurs marqueurs moléculaires aux traits d'intérêt. Cette approche est indirecte et ne sera plus nécessaire une fois que tous les gènes seront connus et que le patrimoine génétique d'un individu pourra être directement obtenu, de manière facile et rapide. Autrement dit, nous pourrons déterminer, sur le terrain même, si un individu échantillonné possède ou non un gène donné, et si oui, sous quelle variante. De la même manière qu'une
carte grise procure l'identité et les caractéristiques d'une voiture, le séquençage d'un individu nous procurera son identité et ses caractéristiques génétiques.
L'analyse des séquences pourrait se faire au-delà d'un simple individu. Le séquençage pourrait être appliqué à un groupe d'individus constituant une population environnementale. Ces analyses métagénomiques permettraient de mesurer le profil de la diversité génétique dans un échantillon de l'environnement naturel, ouvrant ainsi la porte à des études d'interactions entre organismes.
La caractérisation de l'expression des gènes pourrait aussi se voir simplifiée par de tels progrès. Avec la possibilité de séquencer tout le profil de transcription,
i.e. de l'activité, des gènes, les technologies d'hybridation actuellement destinées à cet usage, les microarrays et le northern blotting, pourraient alors devenir obsolètes.
Projetons-nous en 2025. Le séquençage génomique est devenu une opération de diagnostic simple et banale et se présente sous la forme d'un petit appareil portatif, semblable au poinçon des contrôleurs de la
SNCF. Lors d'une inspection de routine dans le vignoble, nous prélevons un petit échantillon sur une jeune baie avec le poinçon séquenceur. À l'intérieur du manche, l'ADN et les transcrits sont extraits, séquencés puis les données sont relayées à notre iBidule sans-fil, où elles seront analysées. Après quelques minutes, les résultats nous sont communiqués: quelques mutations naturelles sans grandes conséquences sont détectées; le profil de transcription indique une surexpression de certains gènes qui risquent de mener à une plus grande concentration de tanins, selon les modèles; plus inquiétant, des traces d'ADN viral sont détectées.
Convergence
Il ne s'agit pas ici de préconiser un investissement massif dans les technologies de pyroséquençage ou de mettre sur pied d'avantage de plateformes de séquençage. Il est clair que le perfectionnement des techniques et applications futures du séquençage à grande échelle va de pair avec des percées dans d'autres secteurs scientifiques (nanotechnologies, élaboration de nouveaux matériaux, miniaturisation de procédés ou développement de modèles mathématiques et d'algorithmes bioinformatiques). Un soutien aux recherches fondamentales favorisant une convergence des connaissances fait donc partie de la solution. Il serait plus pertinent de financer la recherche fondamentale en amont pour nourrir le flux du savoir et encourager la convergence des connaissances. Une fois les techniques développées et mises en application, les résultats pourront être récoltés. Une découverte, a priori bénigne au jour présent, comme la caractérisation d'une
molécule de méduse fluorescente, ne pourrait se révéler indispensable à une application que plusieurs années en aval (1). Sur le long terme, le cumul des connaissances et du savoir-faire sont la base des nouvelles technologies.
Historiquement, la maîtrise des techniques agricoles nous a permis de nous épanouir en société et a fait le succès de notre espèce. Pour surmonter les problèmes, que nous les ayons nous-mêmes engendrés ou pas, nous avons développé des technologies pour combler nos lacunes. Notre survie est indissociable de notre savoir-faire et nous devons donc continuer à développer et apprendre à gérer les technologies dont nous disposons aujourd'hui, en attendant d'inventer un moyen de faire autrement.
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(1) Plus de 40 ans après sa découverte, une protéine fluorescente de méduse, la
GFP, a été honorée du prix Nobel de chimie 2008.